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Poème pastoral sur l'innocence

Sans connaître la biographie de Roberto Rossellini sur le bout des doigts, on peut a priori être surpris de le voir s'intéresser à un personnage comme celui de François d'Assise. Pourtant, en cherchant un peu au-delà de la façade athée ou agnostique, on découvre son intérêt pour l'expression des valeurs chrétiennes et pour d'autres manifestations spirituelles dans son époque (et sa vision du monde) empreinte de considérations matérialistes. Mais même en tenant compte de ces éléments contextuels, Les 11 Fioretti de François d'Assise ne relève pas à mon sens de l'hagiographie béate d'un saint : à travers onze courts tableaux comportant chacun un enseignement, le portrait esquissé est beaucoup plus disparate et ambigu que ce qu'on aurait pu imaginer.

Le film se situe au tout début de l'ordre franciscain, en 1210, après que le pape a reconnu le mouvement prônant une pauvreté matérielle absolue. François et ses disciples font l'expérience de cet enseignement de retour de Rome, dans un état de béatitude et d'humilité total. C'est là que suivant l'interprétation, la culture et les (non-)croyances, le résultat pourra sensiblement différer d'une personne à l'autre. Certains pourront y voir une consécration de cet ordre religieux là où d'autres y verront un regard décalé sur des pratiques médiévales. La façon dont François d'Assise tire des enseignements des différentes péripéties est à elle seule ambivalente : on peut la considérer soit de manière pieuse, et donc très respectable, ou de manière masochiste, et donc très drôle. Le film se tourne d'ailleurs très souvent vers un autre personnage, le frère Ginepro, un disciple de François d'Assise qui lui vole la vedette en décentrant le portrait avec ses frasques.

Par contre, indépendamment des ces considérations-là, on peut se concentrer sur d'autres aspects qui rendent Les 11 Fioretti de François d'Assise vraiment passionnant : la description aussi simple que pudique de la vie de quelques humbles au Moyen Âge, avec toute une série de détails très pragmatiques (les champs de boue, les maisons en pierre, les chaudrons au-dessus du feu, les bures et les armures métalliques, les chants d'oiseaux) et quelques éclats burlesques, mais aussi l'irruption d'une intense poésie dans des séquences bucoliques. Le segment durant lequel François embrasse un lépreux avant de s'effondrer sur un parterre étoilé de fleurs est à ce titre bouleversant. D'autres passages sont plus ouvertement grotesques, notamment lorsque Ginepro rend visite au tyran hirsute Nicolas, prisonnier d'une (trop) imposante armure : il sera malmené et littéralement jeté des bras des uns aux autres comme un vulgaire ballon, avant de manquer de se faire décapiter sur un malentendu.

Les 11 Fioretti de François d'Assise, comme un poème serein, se révèle ainsi être (à mes yeux) une fable médiévale sur l'innocence plutôt que l'exaltation d'un saint.

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