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Syncrétisme barré de Sibérie

Deuxième incursion dans les délires mystiques après la rencontre avec Gene Scott, un pasteur américain, à l'occasion de Fric et Foi. Herzog s'était intéressé de manière très neutre aux agissements télévisés de ce personnage singulier, pour lequel il éprouvait sans doute une certaine fascination. Mais là où le pasteur faisait preuve d'un très grand pragmatisme (pour récupérer de l'argent, menaces et chantages à l'appui, principalement), Les Cloches des profondeurs y oppose un mysticisme radical, filmé avec la même distance pudique, de manière neutre et (presque) dénué de moquerie.

Il n'y a en réalité qu'une seule séquence dans laquelle on sent poindre une mise en scène à caractère comique : un des derniers moments du film, où une vieille femme nous fait part de ses visions autour d'un lac gelé au fond duquel se trouverait la ville engloutie de Kitej. Alors qu'elle parle très sérieusement, en arrière-plan, deux illuminés rampent à plat ventre sur le lac, au sein d'une composition parfaitement millimétrée. Le contrepoint devient d'autant plus baroque quand on apprend qu'il s'agit en réalité de deux locaux recrutés spécialement pour l'occasion, en l'absence de véritables illuminés au moment du tournage : non pas deux personnes en transe cherchant le son des cloches d'une cité sous-marine mais deux poivrots en peine cuvant sur de la glace.

L'ambiance qui se dégage de cette région reculée de Sibérie est évidemment très particulière. On y croise des guérisseurs en pleine performance de transmission d'énergie cosmique pour semble-t-il chasser les démons, une sorte de réincarnation de Jésus répandant la bonne parole et consolant des personnes handicapées, un ancien projectionniste reconverti en sonneur de cloches (avec un système complexe de cordes), des gens qui rampent un peu partout dans la ville ou dans les bois, des chants très étonnants devant une rivière où des blocs de glace passent, mais aussi des cérémonies religieuses beaucoup plus orthodoxes, a priori, avec toute la liturgie classique autour de l'eau bénite. Toutes les formes de croyance et de superstition semblent donc cohabiter, formant un syncrétisme un peu barjot. Herzog capte tout cela dans une démarche très terre-à-terre, au premier degré, avec cette façon rituelle de doubler les discours les plus exubérants avec sa voix monocorde.

Difficile de savoir ce qui l'intéresse le plus, entre l'interrogation sincère devant tous ces éléments factuels et l'atmosphère hallucinée qui enveloppe ce microcosme insensé.

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