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Le sacrifice

Un Homme intègre a de quoi inquiéter dans sa première partie, en empruntant les sentiers on ne peut plus battus du film focalisé sur l'humiliation constante de son personnage principal. L'inverse n'est pas pour autant vrai : on ne peut pas affirmer que ce registre à la vague composante misérabiliste soit clairement évité ici, en faisant du protagoniste une sorte de martyr broyé par à peu près tout son entourage. Mais disons que sur le chemin de l'offense et de la souffrance continues, assez unilatéral et sans réelle échappatoire, un certain virage est négocié dans la dernière partie à travers un sursaut d'orgueil et un désir de revanche qui aura su bien ménager sa surprise.

Tout le film s'échine et s'acharne à illustrer l'écrasement dont sont victimes les plus faibles dans la société iranienne, et on ne saurait totalement le reprocher à Mohammad Rasoulof qui avait déjà quelques soucis avec les autorités politiques et religieuses avant ce film (le tournage s'est effectué sur la base d'un scénario tout autre). Gageons que les choses ne se sont pas arrangées après la sortie. Difficile de ne pas penser au Leviathan d'Andreï Zviaguintsev qui usait à peu près des mêmes codes et thématiques, transposés dans le cadre de la Russie contemporaine. Même pourrissement moral allégorique d'un pays, même volonté de résister et de préserver son bien, même mise en scène caractérisée par sa sécheresse. La principale différence réside sans doute ici dans la mise à l'épreuve permanente des convictions du protagoniste, dont le refus catégorique de se soumettre à la logique de la corruption, au centre du récit, apparaît comme inébranlable. Un Homme intègre se fait dans cette optique un peu trop caricatural par moments (d'un point de vue purement cinématographique, bien évidemment, la réalité rattrapant souvent la fiction), notamment quand il s'agit de dépeindre les différentes strates des administration judiciaire ou pénitentiaire, dans tout leur discrédit et dans toute leur compromission, et même si l'équilibre entre la colère intérieure et la dignité à préserver est plutôt bien maintenu. Reza Akhlaghirad, dans ce rôle, est excellent.

Dommage que la narration se fasse aussi insistante dans l'accumulation des problèmes, dans la succession des obstacles, et dans la série des intimidations qui mises bout à bout alourdissent désagréablement le discours naturellement intelligible. Dans certaines séquences à l'esthétique ultra-léchée (les passages dans la grotte, avec son bassin d'une eau bleu laiteux, sont magnifiques), dans l'intériorisation d'une rage refoulée et dans l'endurcissement du personnage pas particulièrement aimable de prime abord, dans la place accordée à sa femme (Soudabeh Beizaee très convaincante), dans certaines métaphores (le lait qui bout sur le feu pour représenter l'acte sexuel) et dans la morale de conte très noir (le Nuri Bilge Ceylan de Il était une fois en Anatolie et Winter Sleep n'est jamais très loin, et une séquence évoque très directement celle de la maison en flammes dans Le Sacrifice de Tarkovski), Un Homme intègre laisse pourtant entrevoir un matériau de base très intéressant.

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