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"It is a terrible disappointment and I am very sorry for my loyal companions. Great God! This is an awful place."

Première publication le 11-10-2017.

L'Éternel Silence est un autre récit de voyage au Pôle Sud, une autre échappée documentaire vielle de cent ans, une autre expédition britannique magnifiquement ratée, racontée depuis l'intérieur de l'aventure à l'aide des différents appareils du photographe Herbert Ponting tout comme Frank Hurley, un autre photographe anglais, l'avait fait dans South (lire le billet) quelques années auparavant. Si ce dernier film sortit en 1919, il contait les exploits nuancés de la troupe réunie autour de Ernest Shackleton pour une mission en Antarctique baptisée "Endurance" qui dura de 1914 à 1917. Le présent documentaire, bien que sorti 5 ans plus tard en 1924, s'attachait à décrire une autre expédition, "Terra Nova", menée par le Capitaine Robert Falcon Scott de 1910 à 1912 et donc antérieure dans les faits à celle précédemment évoquée. Cette mission constituait les premiers pas britanniques au véritable Pôle Sud, en janvier 1912... tandis que le noyau dur de l'expédition découvrait avec stupeur, sur place, que l'équipe norvégienne de Roald Amundsen les avait devancés de près d'un mois. "It is a terrible disappointment and I am very sorry for my loyal companions... Great God! this is an awful place." peut-on lire dans ses carnets à ce sujet. Un coup du sort dont ils ne se remettront pas, les 5 membres de cette équipe réduite n'ayant jamais réussi à retrouver le camp de base, prisonniers des tempêtes exceptionnelles cet hiver-là, morts de faim et de froid à seulement quelques kilomètres d'un point de ravitaillement qu'ils n'auront jamais réussi à localiser. Le final puissamment tragique de L'Éternel Silence, en ce sens, est beaucoup plus proche d'un autre récit d'aventures sorti la même année : L'Epopée de l'Everest (lire le billet), de J.B.L. Noel, qui racontait la fin non moins tragique des deux alpinistes britanniques George Mallory et Andrew Irvine en haut de l'Himalaya.

Le schéma suivant, comportant les données cartographiques actuelles dont ne bénéficiait évidemment pas l'expédition à l'époque, résume la dernière partie de leur périple (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

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Les images de Herbert Ponting constituent un document précieux du début du XXe siècle et permettent, à travers le faisceau de tous les autres documentaires cités précédemment, de donner une idée plurielle de la course à l'exploration qui motivait l'époque et des risques notables qu'ont pu prendre les citoyens de l'Empire britannique pour tenter d'en asseoir la suprématie. De nombreux extraits du journal de bord de Scott abondent dans ce sens, en soulignant la recherche de la gloire et des honneurs à mettre au compte de la couronne. Ses toutes dernières notes, datées du 29 mars 1912, sont par ailleurs poignantes :

"Had we lived, I should have had a tale to tell of the hardihood, endurance and courage of my companions. These rough notes and our dead bodies must tell the tale."

"Every day we have been ready to start for our depot 11 miles away, but outside the door of the tent it remains a scene of whirling drift. I do not think we can hope for any better things now. We shall stick it out to the end, but we are getting weaker, of course, and the end cannot be far. It seems a pity but I do not think I can write more.

R. Scott.

For God's sake look after our people."

pole_sud.JPGExactement comme son compatriote Hurley, Ponting insiste sur la nature scientifique de la mission à un moment donné du documentaire, alors que l'expédition atteignait le rivage de la l'Île de Ross. Une longue séquence (plus longue que celle de South, et non dénuée d'un certain anthropomorphisme presque touchant) est ainsi consacrée à des observations d'ordre géologique et zoologique, décrivant les modes de vie d'animaux tels que des orques, des manchots Adélie (avec ici aussi, étonnamment, une référence à Chaplin), des Skua antarctiques, des phoques de Weddell. C'était la première fois qu'une caméra atteignait le continent antarctique et ces images revêtaient sans aucun doute un intérêt capital.

Ponting accompagna Scott depuis la Nouvelle-Zélande jusqu'en Antarctique mais pas dans la dernière partie (fatale) de l'expédition jusqu'au Pôle Sud à proprement parler : il se contente ici de raconter l'épopée des cinq aventuriers malchanceux à l'aide de quelques schémas et du journal retrouvé bien plus tard. Exactement comme dans L'Épopée de l'Everest, il capte dans un élan mélancolique évident les derniers instants filmés des explorateurs en vie, en direction de leur but, saluant la caméra, tout sourire, avant de s'enfoncer dans le brouillard polaire.

Le reste du documentaire présente les aspects "classiques" et non moins intéressants de l'expédition, de sa préparation (avec notamment un bestiaire composé de chiens et de... poneys sibériens) à la découverte des premiers icebergs. Les images de la coque du navire déchirant la banquise sont saisissantes, et leur obtention (à l'aide d'une plateforme accrochée sur le côté, à l'avant du bateau) a elle aussi été mise en scène pour montrer l'investissement acharné de Ponting dans sa tâche. En outre, un peu comme Robert Flaherty avec un igloo dans Nanouk l'esquimau (lire le billet), Ponting a glissé sa caméra à l'intérieur d'une tente pour observer les conditions de vie spartiates de l'expédition finale : comment s'habiller, se déshabiller, cuisiner, et dormir dans un espace réduit et par des températures glaciales inimaginables.

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En quittant la Nouvelle-Zélande au tout début de la mission, le capitaine Scott était conscient qu'une autre expédition concurrente, norvégienne, avait pour objectif identique la conquête du Pôle Sud : l'amertume qui se dégage de ses écrits, alors qu'il découvre la tente d'Amundsen à l'emplacement exact qui était censé marquer la victoire du courage et de la supériorité britannique, est immense. Elle nous parvient intacte, semble-t-il, cent ans plus tard.

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Le photographe Herbert Ponting et l'officier de la Royal Navy Robert Falcon Scott.

Seconde publication le 26-06-2021.

Le cadre : l'âge héroïque de l'exploration en Antarctique (situé entre 1895 et 1922), que l'on compara à la course à l'espace dans les années 1960 qui se termina par l'alunissage le lundi 21 juillet 1969 au cours de la mission Apollo 11. On rejoint Rencontres au bout du monde de Werner Herzog (2007), en visite chez les pensionnaires de la base américaine McMurdo, en Antarctique.

Robert Falcon Scott, un officier de la Royal Navy, est le leader de l'expédition Terra Nova menée entre 1910 et 1913 qui devait atteindre le pôle Sud. Scott a mené auparavant l'expédition Discovery en Antarctique de 1901 à 1904, pour explorer le littoral antarctique. Lorsqu'il quitte les côtes néozélandaises en 1910, il sait qu'une expédition norvégienne concurrente est également en lice, menée par l'explorateur Roald Amundsen — qui lui aussi disparaîtra (mais beaucoup plus tard, en juin 1928) en participant à une mission de recherche et sauvetage en bordure de la mer de Norvège.

Beaucoup d'expéditions et de films qui explorent les limites du monde tel qu'on le connaissait à un moment donné :
- South (1919, Frank Hurley) : l'échec (sans aucun mort au demeurant) de l'expédition britannique Endurance, emmenée par Ernest Shackleton, au départ des Îles Sandwich du Sud et en direction du pôle Sud, de 1914 à 1917.
- Nanouk l'Esquimau (1922, Robert Flaherty) : le mode de vie d'une famille Inuit de la région de Port Harrison sur la côte Est de la baie d'Hudson au Canada, d'après le récit de Flaherty qui commença son expédition en 1914 et ce pour plusieurs années.
- L'Epopée de l'Everest (1924, J.B.L. Noel) : l'ascension de l'Everest par deux alpinistes britanniques, George Mallory et Andrew Irvine, en 1924, qui périrent dans les hauteurs enneigées.
- Moana (1926, Robert Flaherty) : Robert Flaherty et sa femme à la rencontre d'une tribu polynésienne, pendant deux ans sur une île de l'archipel des Samoa, au milieu des années 1920.
- L'Expédition du Kon-Tiki (1950, Thor Heyerdahl ) : l'expédition du Kon-Tiki, vers l'archipel polynésien depuis le continent sud-américain en 1947, au cours de laquelle le biologiste Thor Heyerdahl souhaitait démontrer une théorie d'ordre anthropologique.
- Moonwalk One (2014, Theo Kamecke) : l'histoire du vol d'Apollo 11, avec Armstrong, Collins et Aldrin, entre liturgie mystico-philosophique absconse sur le thème de l'exploration spatiale et description matérialiste de plusieurs aspects de la mission.

Les défauts : les séquences animalières, sans doute plus étonnantes à l'époque, sont beaucoup trop longues et constituent le ventre mou du film. Après les poneys sibériens et les chiens de traineau, les pingouins, les manchots, et même le saut de chat sur la neige. La musique, ajout de la restauration, est souvent abominable.

Les qualités : un film censé illustrer les talents exploratoires de l'empire britannique se transforme en un film testamentaire faisant l'éloge, par défaut, de la grandeur de l'âme britannique prête à tous les sacrifices. La beauté de l'échec est au moins aussi éloquente que la beauté des paysages glacés : il faut songer que sur une mission de trois ans, les deux camps opposés atteignirent le pôle Sud avec seulement 34 jours de différence, entre fin 1911 et début 1912. Les images du petit groupe de Terra Nova devant la tente de Amundsen et le drapeau norvégien valent tous les mélodrames de fiction. Amundsen qui déclarait à la même époque "never underestimate the British habit of dying. The glory of self-sacrifice, the blessing of failure"... Ce sont les toutes premières images ramenées de l'Antarctique. La visualisation de la carte de l’expédition, avec les différentes péripéties macabres sur le chemin retour, est d’un sens du dramatique vraiment très fort.

Herbert Ponting ne semble pas intéressé par la dimension compétitive de l’entreprise : il filme la traversée de Nouvelle-Zélande vers l'Antarctique et le début de l'expédition, c’est tout. On voit des formations de glace telles des feuilles de nénuphar qui flottent à la surface avant de s'agglomérer. La sidération du spectateur dans les années 10 est sans doute semblable à celle du spectateur contemporain. Beaucoup de bébés pingouins et de phoques qui cassent la glace avec leurs dents, certes. Mais il y a de quoi être étonné par la rapidité et la réactivité du photographe qui utilise un matériel lourd et encombrant, en plus des conditions polaires glaciales qui rendent le travail sans doute très compliqué.

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